Contacter l’unité primordiale dans la différence, c’est ce que propose Marc Scialom* par le chant harmonique. Interview parue dans la revue “Réel”.
Réel : Qu’est ce que le chant harmonique ?
M. S. : Le chant harmonique ou diphonique, est une approche de la voix où le chanteur émet deux sons simultanément. Le son de la fondamentale, que nous entendons habituellement lorsque nous chantons et le son harmonique qui est un son pur avec une fréquence multiple d’un nombre entier de celle de la fondamentale.
La série harmonique est donc construite sur la série des nombres entiers : les harmoniques ce sont les nombres qui chantent !
Si la fondamentale a une fréquence de 100Hz les harmoniques auront des fréquences de N x 100Hz.
Fondamentale DO 100Hz – Harmonique 2 : DO 200Hz (2 x 100) -Harmonique 3 : SOL 300Hz -Harmonique 4 : DO 400Hz -Harmonique 5 : MI 500Hz -Harmonique 6 : SOL 600Hz -Harmonique 7 : SI B 700Hz -Harmonique 8 : DO 800Hz: harmonique 9 : RE 900Hz – Harmonique 10 : MI 1000Hz -Harmonique 11 : FA+ 1100Hz -Harmonique 12 : SOL 1200Hz – Harmonique 13 : LA 1300Hz.
Tout son peut, en effet, se décomposer en une gamme sous-jacente d’harmoniques que l’analyse spectrale fait apparaître. Basée sur le nombre elle est structurante et harmonisante pour celui qui l’émet et ceux qui l’entendent.
Réel : Structurante et harmonisante ?
M.S. : Oui, car dans le chant harmonique, le son est dirigé vers le sommet de la tête. De là, il stimule le centre coronal et la glande pinéale et produit une régulation au niveau énergétique. Une amie, professeur au collège d’ostéopathie de Bruxelles, a fait un bilan énergétique avant et après une séance d’un quart d’heure de chant harmonique. Elle a évalué que le bénéfice sur le plan énergétique était équivalent à une séance d’ostéopathie d’une heure.
Réel : Vous parlez d’une gamme d’harmoniques, comment la produisez-vous ?
M.S. : L’énergie sonore est orientée vers le voile du palais. De même qu’un prisme diffracte la lumière blanche dans les 7 couleurs de l’arc-en-ciel, le voile du palais – par une technique qui consiste à définir un espace de résonance entre le pharynx, la langue et le palais – diffracte le son en plusieurs harmoniques “naturelles”. Le son émis est alors un son pur, en physique on appelle cela « un mouvement vibratoire simple » de fréquence sinusoïdale. En l’émettant, nous manifestons un son pur, l’inconnu au coeur de notre voix.
Réel : En diffractant le son, nous retrouvons donc une unité ?
M. S. : Oui, car les sons harmoniques, qui sont de même nature, ont tendance à fusionner. Si bien que lorsque plusieurs personnes chantent sur une note fondamentale, une même harmonique, l’auditeur arrive à distinguer le son fondamental de chacun lié au timbre spécifique de chaque personne mais n’arrive pas à situer qui émet l’harmonique tant les harmoniques vibrent en unité. Pour moi, le chant harmonique est un symbole, un rituel manifestant notre unité différenciée : nous sommes différents dans nos personnalités et un dans notre essence.
Lorsqu’un groupe chante une même harmonique, l’auditeur entend un son unique très pur qui circule comme au-dessus du groupe. Les chanteurs eux ont l’impression de participer à un son qui est supérieur à l’énergie de la somme des énergies des individus qui le produisent.
Réel : Comment enseignez-vous le chant harmonique ?
M. S. : Le premier travail consiste apprendre ce que nous appelons “les formants”. Par exemple, la voix de poitrine permet d’émettre des sons situés entre la troisième et la huitième harmonique ; une autre, qui ressemble à de petites flûtes cristallines, entre la cinquième et la douzième harmonique voire jusqu’à la dix-huitième si nous partons d’une fondamentale assez basse ; la “grue noire”, enfin, – chant des moines gyutos – permet de chanter un octave en dessous de la fondamentale.
Réel : Que chante-t-on en harmonique, des notes, des chants mélodiques ?
M. S. : Nous pouvons construire une mélodie avec les harmoniques, la fondamentale constituant le bourdon. Le chanteur a aussi la possibilité d’émettre deux mélodies simultanément : l’une avec les notes fondamentales et l’autre avec les harmoniques.
Réel : S’agit-il uniquement de sons ou les chanteurs peuvent-ils émettre des mots ?
M. S. : Il s’agit essentiellement de sons, mais dans l’improvisation nous pouvons chanter des mots et sur la tenue de certaines voyelles, placer des harmoniques.
Réel : Cela pourrait advenir dans la parole ?
M. S. : Non, ce n’est que dans le chant, car dans la parole, lorsque nous émettons une série de voyelles et de consonnes les sons se décomposent à un instant t donné en une gerbe complexe d’harmoniques qui va définir le timbre de la voix. Alors que dans le chant que nous pratiquons, nous arrivons à sélectionner une harmonique et une seule à un instant t donné. Nous contactons un son primordial, qui se construit dans l’antériorité de la bouche.
Réel : Est-ce une recherche de l’antériorité de la parole ?
M. S. : J’ai vécu plusieurs expériences avec les animaux qui illustrent bien l’antériorité ou l’aspect primordial du son dont je parle. Alors que je me promenais avec deux amis dans la montagne, nous apercevons trois chamois à 150 mètres. Nous voyant, ils s’apprêtent à détaler, et sans savoir pourquoi, je me mets à produire des sons harmoniques. Chaque fois que je chantais, j’avançais. Surpris de les voir écouter ces sons, comme en arrêt, je me rapproche à une distance que je n’aurais jamais soupçonné atteindre. Deux femelles se tenaient devant et un mâle en derrière. Alors que j’arrivais en me rassurant par l’émission de mes sons à 10 mètres du groupe de chamois, le mâle passa entre les deux femelles et s’avança à 5 mètres de moi.
Je continuais d’émettre ces sons, je ne savais si ce que je vivais était de la peur ou de l’étonnement.
Après quelques minutes, j’ai perçu dans le regard que nous partagions un lâcher prise de la peur : la mienne et ce que j’imaginais être la peur du chamois. Aussitôt, il s’ allongea nonchalamment au sol ,il posa sa tête sur ses pattes de devant avec une grâce qui donna une inspiration renouvelée à mon chant.
J’ai continué à chanter, nous étions tout proche l’un de l’autre : c’était un instant de communion, je crois que j’oubliais que j’étais un homme. Au bout d’un quart d’heure, il s’est relevé et les bêtes ont descendu la pente très tranquillement.
J’ai vécu d’autres expériences avec des marmottes, des poneys sauvages et même avec un chat à moitié sauvage de Mayotte qui s’est jeté sur mon ventre dès que j’ai commencé à émettre ces sons et s’est mis à téter mon ventre!
Je pense que ces sons harmoniques sont présents dans le vent, dans la voix des animaux, partout… La série harmonique est une structure sous-jacente à tout son et nous met en contact avec l’universalité de tout phénomène vibratoire c’est-à-dire avec tout ce qui est.
Lors des stages que je conduis, une joie profonde et fraternelle que je ne saurais expliquer s’installe entre les participants.
Réel : La psychanalyse viendrait interroger ce passage du son primordial à la parole : n’y a-t-il pas un deuil de l’harmonie, de la communion, à faire ?
M. S. : Oui, lorsque nous parlons, nous rentrons dans un espace différencié, d’individualité. La parole est le reflet de notre histoire et d’un chemin qui s’est fait vers l’individuation, le chant harmonique, lui, nous place hors du temps, avant l’individuation.
Le défi est de tenir les deux ensemble : vivre l’unité dans une perception de la richesse des différences et non de manière fusionnelle donc régressive.
L’improvisation en groupe avec les harmoniques est une occasion de vivre cette dimension.
Réel : Le rythme est-il pour vous le premier symptôme de l’incarnation, de la temporalité ?
M. S. : Oui le rythme à travers l’apprentissage de la marche et de la parole, la perception de la causalité nous permet de nous incarner, d’inscrire notre être dans la temporalité.
C’est intéressant de redécouvrir dans la simplicité à travers cette approche du chant harmonique ce mouvement : de l’informel au formel, du non-manifesté au manifesté, de l’intemporel au temporel et de célébrer dans notre corps, au plus intime de nous-mêmes, les noces de la terre et du ciel.
Réel : La terre, c’est le rythme ou la parole ?
M. S. : La terre, c’est le rythme et le ciel, c’est l’informel, le non-manifesté symbolisé par les harmoniques.
Réel : Le personnel serait la parole ?
M. S. : Oui.
Réel : Qu’apprenons-nous donc en pratiquant le chant harmonique ?
M. S. : Nous apprenons à devenir un homme, une femme sonore, à faire l’expérience que toutes les parties du corps peuvent être sonores et vibratoires. Il y a des temps de méditation où nous prenons conscience que le son le plus puissant et le plus réorganisateur est celui émis dans le silence et qu’en fait toute l’expérience du chant est un prétexte pour vivre ce son silencieux éminemment réharmonisateur et structurant.
A travers des exercices de méditation, de Chi Kong, de placement de voix et d’apprentissage des harmoniques, nous réalisons aussi que nous pouvons être ensemble, dans l’ici et le maintenant, autrement que par la parole. Lorsque nous sommes dans la parole nous partageons quelque chose de séquentiel : je parle, tu parles. Dans le chant et particulièrement dans l’improvisation de groupe, nous émettons et écoutons des sons simultanément, ensemble et dans l’appréciation des nos différences . Nous construisons ensemble un édifice sonore qui se vit dans l’intensité du moment présent. C’est un éveil en formation de groupe. Il y a beaucoup de joie dans la perception, et la réalisation de cette unité différenciée.
Réel : Si je comprends bien, il y a le silence, le son primordial, le rythme, puis la parole pour entrer dans le plan personnel. Dans vos stages, les participants arrivent-ils à nommer ce qui a été vécu en amont, dans le son primordial ?
M. S. : Dans ce type de travail, où le ressenti et la perception intuitive jouent un rôle important, comme pour équilibrer, j’accorde une grande importance à la verbalisation. Après chaque exercice qui implique une dimension énergétique et une approche méditative, j’invite les participants à exprimer leur vécu pour se l’approprier, pour établir un pont entre le non-différencié et le personnel, entre le son primordial et la parole, entre l’intemporel et le temporel, entre le Soi et le moi.
Réel : Y-a-t-il des émotions quand l’être arrive à traduire, à trouver les mots justes, libérateurs d’un emprisonnement ?
M. S. : Oui, la joie d’être ensemble dans le son, le sentiment de fraternité qui en découle.
Aussi la joie peut-être de nature plus mentale de trouver l’adéquation entre le vécu intérieur et l’expression verbale : l’émotion sereine et la clarté de faire l’expérience d’une parole enracinée, d’une parole vibrante, incarnée dans le réel, dans l’ici, dans le maintenant.
Marc Scialom a fait des etudes de mathématique. Psychothérapeute en Haute-Savoie, il enseigne le chant harmonique,le taï-chi, la PNL et,l’hypnose éricksonienneau sein de l’association Synergie PNL.
1 Comment
leclercq
février 14, 2014Je suis intéressée par votre méthode, mais je n’ai pas reçu votre premier livret alors que vuos parlez dans votre mail récent du premier.
cordialement,
Françoise Leclercq
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